Article mis en ligne le 03/12/2019
Des éruptions volcaniques sont responsables de pollutions de l’air aux particules fines durables et à grande échelle, d’après des analyses impliquant un laboratoire de l’université.
En août 2014, les séismes avant-coureurs d’une éruption s’accumulent autour du volcan Bárðarbunga, dans le centre de l’Islande. Le sous-sol est en train de se fissurer sous la pression du magma, qui finit par percer la surface le 29 août. Moins médiatique que celle de l’Eyjafjallajökull en 2010 dont les cendres paralysèrent en partie le trafic aérien en Europe, l’éruption « Holuhraun » du Bárðarbunga sera pourtant la plus forte éruption effusive - l’un des deux grandes types d’éruptions, qui se caractérise par d’importantes coulées de lave - en Islande depuis le XVIIIe siècle.
Mais c’est surtout par les quantités considérables de dioxyde de soufre rejetées dans l’atmosphère, que cette éruption est remarquable, l’une des plus importantes de ces dernières années à l’échelle mondiale. Plus de dix millions de tonnes sont émises en moins de six mois, soit bien plus que le total des émissions annuelles de l’Union européenne. À plusieurs reprises, les autorités islandaises recommandent à la population d’éviter de sortir pour se prémunir de ces émissions toxiques. En septembre, ce sont plusieurs régions d’Europe, dont le Nord et le Pas-de-Calais, qui subissent également une forte pollution de l’air, selon les premières analyses d’une équipe du laboratoire d’optique atmosphérique (LOA¹) révélées dès octobre 2014. Aujourd’hui, dans un article mis en avant par le journal de l’union européenne des géosciences (Atmospheric Chemistry and Physics), écrit en collaboration avec plusieurs institutions, l’équipe revient sur cette éruption, afin de comprendre exactement quelles zones géographiques ont été affectées par cette pollution, et pendant combien de temps.
Contrairement à la majorité des études, celle-ci ne se contente pas d’analyser la pollution au dioxyde de soufre, mais va plus loin. En effet, au contact de l’atmosphère, ce gaz se transforme en fines particules appelées aérosols sulfatés. Or ceux-ci, de par leur petite taille, peuvent pénétrer profondément dans les poumons et avoir des conséquences néfastes sur la santé.
L’une des problèmes est que les sites industriels émettent aussi de tels aérosols. En outre, les chercheurs ne savent pas précisément à quelle vitesse et en quelle proportion le dioxyde de soufre se transforme en aérosols, du fait des conditions changeantes que rencontre le panache volcanique au cours de son voyage dans l’atmosphère. Mais l’équipe française est parvenue à passer outre ces difficultés en combinant les observations de plusieurs satellites, les mesures au sol du réseau européen de surveillance de la qualité de l’air, ainsi que celles de la composition chimique des particules (utilisant une technologie très récente de spectrométrie de masse). Grâce à ces analyses détaillées , elle a en effet pu déterminer la signature chimique des aérosols sulfatés d’origine volcanique, et montrer qu’on peut les distinguer des émissions industrielles. Puis en reconstituant le trajet de ces particules grâce à des analyses numériques complexes, elle a pu déterminer quelles étaient les sources de ces pollutions riches en soufre, à grande échelle.
Résultat : l’éruption Holuhraun a engendré une large pollution en Europe, depuis la France jusqu’au nord de la Scandinavie. Non seulement en dioxyde de soufre, mais aussi en aérosols sulfatés. Pendant six mois entre septembre 2014 et février 2015, les émissions de l’éruption Holuhraun ont en effet représenté une des principales sources de ces aérosols sulfatés, rivalisant avec celles en provenance des industries d’Europe de l’Est ou de Grande-Bretagne. Cette analyse a également permis de préciser comment la concentration en sulfates évolue au cours du temps dans le panache volcanique.
Ces résultats sont importants. Notamment parce qu’ils révèlent que l’impact de la pollution volcanique sur la santé peut être plus fort qu’on ne le pensait jusque-là. En ne surveillant que le panache de la pollution au dioxyde de soufre, qui disparaît en quelques jours, on risque de manquer l’essentiel. Car la pollution aux particules fines riche en sulfates d’origine volcanique, montrent les analyses, peut persister pendant de longues semaines, parfois à l’échelle d’un continent. Et il n’y a pas que les éruptions : de nombreux volcans émettent en continu des gaz riches en soufre, qui constituent peut-être une source méconnue de pollution de l’air. Enfin, réévaluer la présence de ces aérosols sulfatés dans l’air pourra permettre de mieux comprendre la manière dont ils modifient les propriétés des nuages et mieux estimer leur impact sur le climat.
Les travaux impliquent une équipe du laboratoire d'optique atmosphérique (LOA), en collaboration avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), l'institut Mines-Télécom Lille Douai, le laboratoire des sciences et du climat (LSCE), le laboratoire de physico-chimie de l'atmosphère, l'Université libre de Bruxelles et l'association en charge de la surveillance de la qualité de l'air Atmo Hauts-de-France. Ils s'insèrent dans les activités du projet VOLCPLUME financé par l'Agence nationale de la recherche, du laboratoire d'excellence physique et chimie de l'environnement atmosphérique (Labex Cappa) et du contrat de plan État-région (CPER) Climibio.
1 (Univ. Lille/CNRS)